Prison et
réinsertion, une impossible combinaison
Avec un nombre de détenus d’environ 22.000 à 23.000 entre 2017 et 2020*, la politique carcérale semble stagner ces dernières années. Le taux d’incarcération de 181 personnes pour 100 000 habitants, fait de la Tunisie le 2e pays d’Afrique du Nord avec le taux d’incarcération le plus élevé.
*Les données et statistiques en matière de détention ont été fournies par le Comité Général des Prisons et de la Rééducation (CGPR)
La surpopulation carcérale est la cause première de conditions de détention en deçà des standards internationaux, ne permettant pas la réinsertion des détenus : co-détention de primo-délinquants et de multirécidivistes, de condamnés et de détenus préventifs (et donc présumés innocents), de prisonniers de droit commun et d’accusés pour terrorisme, conditions sanitaires dégradées et contraction de pathologies incurables et parfois mortelles, impossibilité de bénéficier de formations, d’activités culturelles, d’activités sportives et d’un accompagnement individualisé de préparation à la sortie, agents pénitentiaires en sous-effectif et en manque de moyens, état psychologique des détenus dégradé conduisant aux comportements violents avec soi-même et avec les autres…
Au-delà des principes universels des droits humains qui imposent à chaque Etat de se doter de lieux de détention offrant des conditions de vie dignes aux détenus, réinsérer les détenus favorise une diminution de la délinquance et de la criminalité profitable à toute la société. Les études le prouvent: de mauvaises conditions de détention accroissent les facteurs de criminalité de l’individu, rendant inopérant l’objectif premier du droit pénal qui est celui de la réhabilitation.
La décroissance carcérale comme vecteur de justice sociale
Le profil-type de l’accusé 52
Malgré le principe d’égalité devant la loi, force est de constater que la prison reflète les inégalités socio-économiques de la société. Plus le capital économique, social, éducatif, sanitaire et familial d’un individu est faible, plus ses chances sont élevées d’être condamné à une peine d’emprisonnement. Non seulement les vulnérabilités sociales et économiques renforcent la probabilité pour un individu d’adopter des comportements en rupture avec la loi, mais celles-ci minimisent aussi ses chances d’avoir accès à l’égalité des armes dans le cadre d’un procès équitable, et jouent ainsi un rôle déterminant dans le prononcé d’une peine de prison ferme.
A titre d’exemple, la législation sur les stupéfiants (loi dit “Loi 52″), particulièrement répressive en Tunisie, illustre de manière éloquente la surreprésentation de jeunes issus de milieux socio-économiques précaires parmi les prévenus et les condamnés.
La lutte contre la surpopulation carcérale ne peut donc pas se limiter à accroître ou à réhabiliter le parc carcéral mais implique de repenser de façon globale les politiques pénales et carcérales, assainies des réflexes et mauvaises pratiques de l’ancien régime.
Détention préventive, reflet des réflexes répressifs de l’ancien régime
62% des détenus en 2020 l’étaient au titre d’une détention préventive. Ce nombre disproportionné de détenus préventifs est dû aux décisions quasi-systématiques de privation de liberté, contraires au principe de liberté. Les effets dévastateurs du stigma social de la détention préventive affectent non seulement le prévenu lui-même, mais également ses proches, alimentant ainsi le cercle vicieux de la marginalisation.
Il est ainsi essentiel de sensibiliser le corps de la magistrature à son rôle de protecteur des droits et libertés et rendre les magistrats redevables de la politique pénale qu’ils mettent en œuvre, afin de les encourager à évaluer systématiquement le bien-fondé d’une détention préventive et à favoriser le recours aux alternatives aux poursuites pénales.
Mettre en oeuvre des alternatives à l’incarcération
Face au coût humain et économique très élevé de la prison, le recours aux peines alternatives à l’incarcération prend tout son sens. Bien qu’embryonnaire, le système de probation dispose actuellement de quelques dispositions législatives : le travail d’intérêt général (1999) en substitution des peines pouvant aller jusqu’à un an ferme ; la peine de réparation pénale (2009) et le système de contrôle électronique par bracelet (2020).
Malgré cette panoplie de dispositions, les jugements de peines alternatives demeurent limités et exceptionnels. Plusieurs raisons l’explique : des conditions de mise en oeuvre restrictives (par exemple, le travail d’intérêt général ne peut concerner qu’un non récidiviste) ; l’état d’esprit des juges mais aussi de l’opinion publique, et les questions pratiques, c’est-à-dire les bureaux de probation.
A ce jour, la Tunisie compte 11 bureaux de probation opérationnels, développés dans le cadre de la coopération européenne et américaine. Bien que le personnel ait été recruté, les bureaux aménagés, l’absence de dispositions légales et réglementaires consacrant l’existence de ces bureaux rend difficile leur pleine exploitation. Ces bureaux souffrent d’une situation de flou, fonctionnel comme organisationnel : est-ce une administration publique ? une structure judiciaire ? doit-elle dépendre du Ministère de la Justice ? de l’administration pénitentiaire ? Cette non-existence légale véritablement consacrée pose aussi des problèmes de financement ; tandis que l’absence d’obligations pour les administrations publiques d’accueillir des TGistes rend difficile, dans tous les cas, de mettre en oeuvre les peines alternatives quand bien même elles seraient prononcées.
En bref, les défis sont nombreux, et la pleine exploitation des dispositions légales existantes dépendra à la fois d’un changement de paradigme (sociétal et au sein de la chaîne pénale) ; de l’existence d’un décret ou d’une loi clarifiant le statut et les prérogatives des bureaux ; et plus largement de l’amendement du Code Pénal et du Code de procédure pénale. Rappelons enfin que la large sous-exploitation de la probation reste le résultat et le symptôme de l’absence d’une politique pénale en Tunisie ; et que les coûts très forts de la prison -financier, social, surpopulation carcérale, récidive, stigmatisation des ex-détenus- sont autant d’arguments qui justifient que les alternatives à la détention deviennent un point cardinal en matière pénale.
DES ACTIONS MULTIPLES ET COMPLÉMENTAIRES EN FAVEUR DE LARÉFORME DE LA CHAÎNE PÉNALE
A travers des actions de plaidoyer, de sensibilisation et formation auprès des acteurs de la chaîne pénale (juges, personnel pénitentiaire…), ou encore des actions culturelles et de prise en charge psychologique, les membres de l’Alternative travaillent tous dans l’objectif de réduire la surpopulation carcérale et réduire les risques de récidive. Retrouvez, à la section suivante, les interviews des partenaires et les newsletters du projet.