Consommation de
stupéfiants : une répression sans garanties procédurales

Cette loi promulguée en 1992 et visant à lutter contre la consommation et le trafic de stupéfiants, créée, par son caractère fortement répressif, de graves effets collatéraux.

Entre autres, elle conduit en incarcération de jeunes citoyens, effectivement coupables de consommation de stupéfiants, mais pour qui la prison aura un effet marginalisant, plutôt que réinsérant

Conscient des effets dévastateurs sur la vie de jeunes citoyens, le législateur tunisien a introduit en 2017 un amendement à cette loi qui est venu assouplir le caractère répressif de la loi en introduisant des circonstances atténuantes.

Celles-ci permettent au magistrat (article 12 de la loi) d’abaisser la peine au-dessous du minimum légal en spécifiant dans son jugement la nature des circonstances atténuantes applicables au cas d’espèce.

Préalablement à cet amendement, le juge était contraint en cas de culpabilité, d’ordonner – au moins – la peine minimale d’un an d’emprisonnement ferme et une amende de 1000 dinars.

Le contexte politique au moment de la promulgation de la loi 52 (1992) en a fait un outil de répression. Elle est ainsi, aussi avant qu’après la révolution tunisienne, utilisée pour intimider et réprimer la dissidence politique ou encore comme levier de revanche ou de pression des forces de l’ordre (à l’instar de l’article 125 du Code Pénal relatif à l’outrage à fonctionnaire public) à l’encontre d’un citoyen avec lequel il aurait un différent.

ARTICLE 4 DE LA LOI N°92-52 RELATIVE AUX STUPÉFIANTS
« Sera puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de mille à trois mille dinars, tout consommateurs ou détenteur à usage de consommation personnel de plantes ou matières stupéfiantes, hors les cas autorisés par la loi. La tentative est punissable. »

Une répression sans garanties procédurales

ARTICLE 8 DE LA LOI N°92-52 RELATIVE AUX STUPÉFIANTS
« Sera puni de l’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de mille à cinq mille dinars, quiconque fréquente sciemment un lieu affecté et aménagé pour l’usage des stupéfiants et dans lequel il en est fait usage. (…) »
 

Au texte répressif, s’ajoutent des lacunes procédurales qui accentuent les abus et conduisent parfois à l’injustice pure et simple. Comme dans le cas des outrages à fonctionnaire public, c’est la police qui établit la preuve du délit. Cela se traduit par des procès verbaux parfois viciés : obtention d’aveux par la torture, traitements dégradants, violation de l’intégrité physique et morale (obtention forcée d’échantillons d’urines), intimidation, irrégularité formelles (signature du rapport d’analyses d’urines différente du nom du médecin biologiste), ou encore violation des garanties procédurales de la garde à vue (loi n°2016-05 relative à la garde à vue).

La menace faite parfois par les agents de police de « fomenter une affaire de détention et consommation » est utilisée même dans des situations sans relation avec ce délit et permet de soutirer des aveux ou des informations dont la véracité reste à confirmer puisque la rigidité de la loi de 1992 fait de cette éventualité un outil de persuasion (parfois de chantage) redoutable.

Après la révolution, la société civile s’est mobilisée pour demander la révision de la loi 52, voir de dépénaliser l’usage ou de légaliser la culture et la vente du cannabis. Plusieurs collectifs se sont créés dont notamment « Le Prisonnier 52 » qui milite pour la dépénalisation de la consommation du cannabis et qui se mobilise pour défendre particulièrement les jeunes consommateurs.

Loi n° 92-52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants

La loi de 1992 est venue amender une première loi promulguée en 1964. Elle fut ensuite amendée en 2017 afin d’introduire la possibilité pour le juge de faire valoir des circonstances atténuantes.

Le magistrat, garant du respect procédural

La réforme de 2017 a été jugée décevante, dans la mesure où elle a simplement introduit la possibilité pour le juge d’atténuer la peine pour les primo consommateurs. Elle reste en-deçà des espérances de la société civile et ne permet pas de supprimer cette épée de Damoclès très prisée par les forces de la police.

Il reste aujourd’hui nécessaire d’imposer le respect des procédures pénales, ce qui permettrait de réduire considérablement le nombre de condamnations, au vu du manque de rigueur démontré par les services de l’ordre dans le traitement de ces affaires notamment au moment de l’arrestation. Cela permettrait également d’éviter un nombre important d’erreurs judiciaires.

Les juges sont des acteurs primordiaux de ce changement, dans la mesure où ils peuvent jouer un rôle salutaire en étant très rigoureux dans l’application des règles de procédure qui sont des garanties contre les dérives policières et les aberrations législatives. A défaut de pouvoir user de leur discrétion, puisque la matière pénale offre peu de marge, ils peuvent veiller à soulever les irrégularités procédurales aussi souvent qu’elles ont lieu, pour garantir un procès équitable.

Découvrez les rapports analytiques

Rapport sur l'application de la loi 52 - 2016

Ce rapport se base sur l’étude de 118 audiences à travers une méthode descriptive et analytique, tout en isolant les cas atypiques ou non représentatifs, et effectue une étude du projet de réforme de la loi relative aux stupéfiants de 2017.

Découvrez les rapports d'observation de procès

Vous trouverez ci-dessous un échantillons des rapports d’observations de procès qu’établissent les observateurs du ROJ, au moment de l’audience, afin de collecter les informations pertinentes à l’analyse de la thématique.

TPI : Tribunal de Première Instance — CA : Cour d’Appel

CA – Kef

9 mars 2021

CA – Tunis

04-09 août 2019

TPI – Ariana

21 juin 2019

TPI -Tunis 1

07 juin 2019

TPI – Mannouba

26 septembre 2018

RO – Kef

16 Février 2021

POLICY BRIEF

 

Table ronde - Parlementaires et société civile "Loi 52 : échecs et enjeux de la réforme"