Une accusation
utilisée à tour de bras
Un outrage à fonctionnaire public est défini à l’article 125 et suivants du Code Pénal comme un acte adressé à un ou des fonctionnaires précis de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à leur fonction.
Sont considérés comme des outrages notamment : les insultes orales, l’envoi d’objets, de lettres d’insultes, les menaces orales ou écrites, ou les gestes insultants ou menaçants (les violences physiques sont punies comme des coups et blessures).
Une définition incertaine
Le Code pénal comprend toute une section dédiée aux outrages et violences à l’encontre d’un fonctionnaire public ou assimilé (Section II du Chapitre IV « Attentats contre l’autorité publique commis par les particuliers »). Cette section protège par le biais de ses 6 articles, davantage les fonctionnaires de l’ordre judiciaire avec des peines plus sévères quand l’infraction se déroule en audience (art. 126 et 127). En outre, le Code pénal interdit l’imputation à un fonctionnaire public de faits illégaux sans en établir la véracité à travers des discours publics ou de presse (art. 128).
Le premier article de cette section est général ; il criminalise l’outrage à travers des paroles, gestes ou menaces à un fonctionnaire ou assimilé dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions.
L’outrage n’est pas défini dans le Code pénal. Dans le langage commun, il se comprend comme « une offense extrêmement grave, constituant une atteinte à l’honneur, à la dignité ; affront, une injure/Action ou parole tout à fait contraire à une règle, à un principe ; atteinte »* . L’agent protégé est le fonctionnaire qui est défini en droit tunisien de manière assez large (« toute personne dépositaire de l’autorité publique ») par l’article 82 du code pénal.
Outrage et égalité des armes
Bien que le délit d’outrage à un fonctionnaire soit prévu dans certaines législations comme bouclier contre les atteintes à l’autorité publique notamment en France, d’autres systèmes législatifs comparés ne le prévoient pas ou l’ont abrogé.
En fait, ce délit institue une inégalité entre citoyens car s’il parait normal que l’État protège ses fonctionnaires, il y a une disproportion entre le citoyen lambda et le fonctionnaire public. Une disproportion qui pourrait être plus flagrante dans certains États où les policiers disposent déjà d’un certain nombre de pouvoirs de fait ou de droit.
De même l’agent qui constate le délit pourrait être en même temps la « victime » de l’outrage. Ainsi, dans la plupart des cas, les poursuites entamées se fondent presque exclusivement sur les prétentions des fonctionnaires. Ces prétentions de la présumée « victime » constituent dans la majorité des cas la seule pièce à conviction de l’instruction.. Dans la mesure où le procès-verbal/rapport établi par le policier fait foi jusqu’à preuve du contraire (art. 154 du Code pénal), il apparaît en pratique très difficile d’apporter la preuve du contraire.
Outrage et impunité : même combat ?
En Tunisie, les organisations de la société civile s’inquiètent de la recrudescence depuis quelques années de l’utilisation de cette disposition.
Ce délit est utilisé comme levier par les agents de police pour perpétuer des abus et des situations de déséquilibre face aux citoyens : pour exercer des pressions lors des arrestations/gardes à vues, pour museler les résistances sociales ou brider la liberté d’expression. C’est aussi le levier de défense privilégié contre les plaintes faites par les victimes d’abus policiers, où les rôles des victimes et accusés s’inversent quasi-systématiquement.
Il est donc primordial que les juges amenés à statuer sur ces affaires prennent en compte l’ensemble des circonstances entourant la commission de ce délit et tranchent en toute impartialité dans ces affaires entachées d’un déséquilibre des armes
Il conviendrait donc d’abroger cette disposition en raison du fait de son utilisation abusive, et notamment en ce qu’elle accorde à ses bénéficiaires une latitude considérable surtout en l’absence d’une définition législative de l’outrage.
Découvrez les rapports d'observation de procès
Vous trouverez ci-dessous un échantillons des rapports d’observations de procès qu’établissent les observateurs du ROJ, au moment de l’audience, afin de collecter les informations pertinentes à l’analyse de la thématique.
TC : Tribunal Cantonal — TPI : Tribunal de Première Instance — TM : Tribunal Militaire — CA : Cour d’Appel